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Russie d’anciennes dettes et de regoûter de la prison… « Avec ma santé, dit-il à quarante-neuf ans, je ne supporterais pas même six mois dans un lieu d’emprisonnement, et, surtout, je ne pourrais travailler. »

Mais, à l’étranger, l’air de la Russie, le contact avec le peuple russe, tout aussitôt lui manquent : il n’est pour lui ni de Sparte, ni de Tolède, ni de Venise ; il ne peut s’acclimater, se plaire même un instant nulle part. « Ah ! Nicolas Nicolaïevitch, écrit-il à Strakhov, comme il m’est insupportable de vivre à l’étranger, je ne saurais vous l’exprimer ! » Pas une lettre d’exil qui ne contienne la même plainte : il faut que j’aille en Russie : ici, l’ennui m’écrase.… » Et comme s’il puisait à même, là-bas, l’aliment secret de ses œuvres, comme si la sève, sitôt arraché de son sol, lui manquait : « Je n’ai pas de goût à écrire, Nicolas Nicolaïevitch, ou bien j’écris avec une grande souffrance. Qu’est-ce que cela veut dire, je ne saurais le comprendre. Je pense seulement que c’est le besoin de la Russie. Il faut revenir coûte que coûte. » Et ailleurs : « J’ai besoin de la Russie, pour mon travail et pour mes œuvres… J’ai senti avec trop de netteté que n’importe où que nous vivions, ce serait indifférent, à Dresde ou ailleurs, je serai partout dans un pays étranger, détaché de ma patrie. » Et encore : » Si vous saviez jusqu’à quel point je me sens tout à fait inutile et étranger !… Je deviens stupide et borné et je perds