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pouvoir tirer aucun parti de cela. Quoi ! pas le moindre cri de révolte ? sinon contre le tsar peut-être, qu’il est prudent de respecter, du moins contre la société, et contre ce cachot dont il sort vieilli ? — Écoutez donc comme il en parle : « Ce qu’il est advenu de mon âme et de mes croyances, de mon esprit et de mon cœur durant ces quatre ans, je ne te le dirai pas ce serait trop long. La constante méditation où je fuyais l’amère réalité n’aura pas été inutile. J’ai maintenant des désirs, des espérances qu’auparavant je ne prévoyais même pas[1]. » Et ailleurs : « Je te prie de ne pas te figurer que je suis aussi mélancolique et aussi soupçonneux que je l’étais à Pétersbourg les dernières années. Tout est complètement passé. D’ailleurs, c’est Dieu qui nous guide. » Et enfin, longtemps après, dans une lettre de 1872 à S. D. Janovsky, cet extraordinaire aveu (où les mots en italiques sont soulignés par Dostoïevsky) : « Vous m’aimiez et vous vous occupiez de moi, de moi malade mentalement (car je le reconnais à présent), avant mon voyage en Sibérie, où je me suis guéri. »

Ainsi, pas une protestation ! De la reconnaissance au contraire ! Comme Job que la main de l’Éternel broie sans obtenir de son cœur un blasphème… Ce martyr est décourageant. Pour

  1. Lettre à Mikhaïl, du 22 février 1854, non donnée par Bienstock.