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baron Vrangel, son ami, pour que vous me témoigniez tant d’amour ? » — et, vers la fin de sa vie, à une correspondante inconnue : « Croyez-vous donc que je sois de ceux qui sauvent les cœurs, qui délivrent les âmes et qui chassent la douleur ! Beaucoup de personnes me l’écrivent, mais je suis sûr que je suis bien plus capable d’inspirer le désenchantement et le dégoût. Je ne suis guère habile à bercer, quoique je m’en sois chargé quelquefois. » Quelle tendresse pourtant, dans cette âme si douloureuse ! « Je rêve de toi toutes les nuits, écrit-il de Sibérie à son frère, — et je m’inquiète terriblement. Je ne veux pas que tu meures ; je veux te voir et t’embrasser encore une fois dans ma vie, mon chéri. Tranquillise-moi, pour l’amour du Christ, si tu te portes bien, laisse toutes tes affaires et tous tes tracas et écris-moi tout de suite, à l’instant, car autrement je perdrais la raison. »

Va-t-il du moins ici, trouver quelque soutien ? — « Écrivez-moi avec détails et au plus vite comment vous avez trouvé mon frère (lettre au baron Vrangel, de Semipalatinsk. 23 mars 1856). Que pense-t-il de moi ? Autrefois il m’aimait ardemment ! Il pleurait en me faisant ses adieux. Ne s’est-il pas refroidi envers moi ! Son caractère a-t-il changé ? Comme cela me paraîtrait triste !… A-t-il oublié tout le passé ? Je ne saurais le croire. Mais aussi : comment expliquer qu’il reste des sept ou huit mois sans