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qu’avec ce travail de galérien, je ne pouvais rien écrire pour la revue ; pas une ligne de moi. Le public ne rencontrait pas mon nom, et non seulement en province, mais même à Pétersbourg, il ne savait pas que c’était moi qui dirigeais la revue. »

N’importe ! il reprend, s’obstine, recommence ; rien ne le décourage, ni ne l’abat. Dans la dernière année de sa vie, pourtant, il en est encore à lutter, sinon contre l’opinion populaire qu’il a définitivement conquise, mais contre l’opposition des journaux : « Pour ce que j’ai dit à Moscou (discours sur Pouchkine), voyez donc comme j’ai été traité presque partout dans notre presse : comme si j’avais volé où escroqué dans quelque banque. Ukhantsev (célèbre escroc de cette époque) lui-même ne reçoit pas tant d’ordures que moi. »

Mais ce n’est pas une récompense qu’il cherche, non plus que ce n’est l’amour-propre ou la vanité d’écrivain qui le fait agir. Rien de plus significatif à ce sujet que la façon dont il accueille son éclatant succès du début : « Voilà trois ans que je fais de la littérature, écrit-il, et je suis tout étourdi. Je ne vis pas, je n’ai pas le temps de réfléchir… On m’a créé une renommée douteuse et je ne sais pas jusqu’à quand durera cet enfer. »

Il est si convaincu de la valeur de son idée que sa valeur d’homme s’y confond et y disparaît. « Que vous ai-je donc fait, écrit-il au