Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sens où nous entendons ce mot généralement, mais avec une sorte de miséricorde enflammée, par pitié, par tendresse, besoin de dévouement et par une propension naturelle à assumer toujours et ne se dérober devant rien, il épouse la veuve du forçat Issaiev, mère déjà d’un grand enfant fainéant ou impropre qui restera dès lors à sa charge. « Si vous me questionnez sur moi, que vous dirais-je : je me suis chargé de soucis de famille et je les traîne. Mais je crois que ma vie n’est pas encore terminée et je ne veux pas mourir. » À sa charge également la famille de son frère Mikhaïl, après la mort de celui-ci. À sa charge, journaux, revues qu’il fonde, soutient, dirige[1], dès qu’il a quelque argent de reste, partant quelque possible loisir : « Il fallait prendre des mesures énergiques. J’ai commencé à publier à la fois dans trois typographies ; je n’ai marchandé ni l’argent, ni la santé, ni les efforts. Moi seul menais tout. Je lisais les épreuves ; j’étais en relation avec les auteurs, avec la censure ; je corrigeais les articles ; je cherchais de l’argent ; je restais debout jusqu’à six heures du matin et ne dormais que cinq heures. J’ai enfin réussi à mettre de l’ordre dans la revue, mais il est trop tard. » La revue, en effet, n’échappe pas à la faillite. « Mais le pire, ajoute-t-il, c’est

    étrange que cela paraisse, c’est ainsi. » (lettre à Vrangel après la mort de sa femme.)

  1. « Pour défendre les idées qu’il croyait avoir », dit M. de Vogué