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et, quand ils ont la plume romantique, de « violation de sépultures », tout au moins de curiosité malsaine ; ils disent : « Laissons l’homme ; l’œuvre seule importe ! » — Évidemment ! mais l’admirable, ce qui reste pour moi d’un enseignement inépuisable, c’est qu’il l’ait écrite malgré cela.

N’écrivant pas une biographie de Dostoïevsky, mais traçant un portrait et simplement avec les éléments que m’offre sa correspondance, je n’ai parlé que d’empêchements constitutionnels, parmi lesquels je pense pouvoir ranger cette misère continue, si intimement dépendante de lui et qu’il semble que sa nature réclamât secrètement… Mais tout s’acharne contre lui : dès le début de sa carrière, malgré son enfance maladive, il est reconnu bon pour le service tandis que son frère Mikhaïl, plus robuste, est réformé. Fourvoyé dans un groupe de suspects, il est pris et condamné à mort, puis par grâce, envoyé en Sibérie pour y purger sa peine. Il y reste dix ans ; quatre ans au bagne et six à Semipalatinsk, dans l’armée. Là-bas, sans grand amour peut-être[1], au

  1. « Oh ! mon ami ! Elle m’aimait infiniment et je l’aimais de même ; cependant nous ne vivions pas heureux ensemble. Je vous raconterai tout cela quand je vous verrai ; sachez seulement que, bien que très malheureux ensemble (à cause de son caractère étrange, hypocondriaque et maladivement fantasque), nous ne pouvions cesser de nous aimer. Même plus nous étions malheureux, plus nous nous attachions l’un à l’autre. Quelque