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« Je travaille ici (Staraia Roussa) comme un forçat, malgré les beaux jours dont il faudrait profiter ; je suis jour et nuit à l’ouvrage. »

Parfois un simple article lui donne autant de mal qu’un livre, car la rigueur de sa conscience reste aussi entière devant les petites choses que devant les grandes :

« Je l’ai traîné jusqu’à présent (un article de souvenirs sur Bielensky, qui n’a pu être retrouvé) et enfin je l’ai terminé en grinçant des dents… Dix feuilles de romans sont plus faciles à écrire que ces deux feuilles ! Il en est résulté que j’ai écrit ce maudit article, en comptant tout, au moins cinq fois, et puis je barrais tout et je modifiais ce que j’avais écrit. Enfin, j’ai achevé mon article tant bien que mal ; mais il est si mauvais que cela me tourne le cœur. » Car s’il garde la conviction profonde de la valeur de ses idées, il reste même pour ses meilleurs écrits, exigeant le travail, insatisfait après :

« Il m’est rarement arrivé d’avoir quelque chose de plus neuf, de plus complet, de plus original (Karamazov). Je puis parler ainsi sans être accusé d’orgueil, parce que je ne parle que du sujet, que de l’idée qui s’est implantée dans ma tête, non pas de l’exécution, quant à l’exécution, elle dépend de Dieu ; je puis la gâcher, ce qui m’est arrivé souvent… »

« Si vilain, si abominable que soit ce que j’ai écrit, dit-il ailleurs, l’idée du roman, et le travail que je lui consacre, me sont à moi malheu-