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l’année dernière (la lettre est d’octobre 70), je considérais cette chose comme étudiée, composée, et je la regardais avec hauteur. (Il s’agit ici des Possédés.) Ensuite m’est venue la véritable inspiration — et soudain je l’ai aimée, cette œuvre, je l’ai saisie des deux mains, et je me suis mis à biffer ce qui était déjà écrit. » — « Toute l’année, dit-il encore (1870), je n’ai fait que déchirer et changer… J’ai changé mon plan au moins dix fois, et j’ai écrit de nouveau toute la première partie. Il y a deux ou trois mois, j’étais au désespoir. Enfin tout s’est constitué à la fois et ne peut-être changé. » Et toujours cette obsession : « Si j’avais eu le temps d’écrire sans me presser, sans terme fixe, il est possible qu’il en serait résulté quelque chose de bien. »

Cette angoisse, ces mécontentements de lui-même, il les a connus pour chaque livre :

« Le roman est long ; il a six parties (Crime et châtiment). À la fin de novembre, il y en avait déjà un grand morceau d’écrit, tout prêt ; j’ai tout brûlé ! Maintenant, je peux l’avouer, ça ne me plaisait pas. Une nouvelle forme, un nouveau plan m’entraînaient ; j’ai recommencé. Je travaille jour et nuit, et cependant j’avance peu. » — « Je travaille et, rien ne se fait, dit-il ailleurs ; je ne fais que déchirer. Je suis affreusement découragé. » Et ailleurs encore : « J’ai tant travaillé que j’en suis devenu stupide, et ma tête est toute étourdie. » Et ailleurs encore :