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cette chaise et je l’ai changée de place afin que le portefeuille fût tout à fait en évidence, mais le général ne l’a pas remarqué, et cela a duré vingt-quatre heures. Il est clair qu’à présent le général est fort distrait, c’est à n’y rien comprendre ; il cause, il raconte des histoires, il rit, et tout d’un coup il se fâche contre moi, sans que je sache pour quel motif. Finalement, nous sommes sortis de la chambre ; j’ai laissé exprès la porte ouverte ; il était ébranlé tout de même ; il voulait dire quelque chose, apparemment ; il craignait pour un portefeuille contenant une si forte somme ; mais soudain il s’est mis en colère et n’a rien dit ; à peine avions-nous fait deux pas dans la rue qu’il m’a planté là et est allé d’un autre côté. Le soir seulement nous nous sommes retrouvés au traktir.

— Mais, à la fin, vous avez repris votre portefeuille ?

— Non, cette nuit même il a disparu de dessous la chaise.

— Alors, où est-il donc maintenant ?

À ces mots Lebedeff se dressa brusquement de toute sa taille et regarda le prince d’un air jovial :

— Mais ici, répondit-il en riant, — il s’est trouvé tout d’un coup ici dans le pan de ma propre redingote. Tenez : regardez ; regardez vous-même ; tâtez.

En effet, dans la poche gauche de la redingote, par devant, s’était formé de la façon la plus apparente une sorte de sac où, au toucher, on pouvait tout de suite reconnaître la présence d’un portefeuille en cuir, qui, sans doute, passant à travers une poche trouée, avait glissé entre la doublure et l’étoffe du vêtement.

— Je l’ai retiré pour le visiter, les quatre cents roubles étaient encore au complet. Je l’ai remis à la même place et depuis hier matin je le porte