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— Cette exclamation est d’un cœur noble, car quatre cents roubles ne sont pas une affaire, pour un pauvre homme qui vit d’un travail pénible et qui a une nombreuse famille…

— Je ne parle pas de cela ! s’écria le prince. Sans doute, — se reprit-il aussitôt, — je suis bien aise que vous ayez retrouvé votre argent, mais comment l’avez-vous retrouvé ?

— Le plus simplement du monde ; il était sous la chaise sur laquelle j’avais jeté ma redingote ; évidemment le portefeuille aura glissé de la poche sur le parquet.

— Comment, sous la chaise ? Ce n’est pas possible, vous m’avez dit que vous aviez cherché partout, dans tous les coins ; comment donc n’avez-vous pas regardé à l’endroit où il fallait chercher tout d’abord ?

— Le fait est que j’y ai regardé. Je me souviens très bien d’y avoir regardé ! Je me suis traîné à quatre pattes sur le parquet, j’ai tâté avec les mains à cet endroit, j’ai reculé la chaise, n’en croyant pas mes propres yeux. Je vois qu’il n’y a rien, la place est vide, pas plus de portefeuille que sur ma main, et malgré cela je me remets à tâter. C’est une petitesse dont l’homme est coutumier quand il veut absolument retrouver quelque chose… quand il a fait une perte considérable et douloureuse : il voit qu’il n’y a rien, que la place est vide, mais n’importe, il y regarde quinze fois.

— Oui, soit ; mais comment cela se fait-il ?… Je ne comprends toujours pas, murmura le prince abasourdi, — auparavant, dites-vous, il n’y avait rien là, vous aviez cherché en cet endroit, et tout d’un coup, le portefeuille s’y est trouvé ?

— Oui, il s’y est trouvé tout d’un coup.

Le prince regarda Lebedeff d’un air étrange.

— Et le général ? demanda-t-il soudain.