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l’allemande, valet de son métier, dont la bouche fort loquace exhalait une odeur méphitique. Le jeune homme à l’insatiable gosier parlait peu. Il écoutait la clabauderie de ses compagnons avec un sourire hébété qu’il interrompait parfois par un rire toujours inopportun ; il émettait alors des syllabes indécises, quelque chose comme « tur… lur… lu… » en posant un doigt sur le bout de son nez, ce qui réjouissait prodigieusement le commerçant, le larbin et tous les autres. Je m’approchai et, ma foi, malgré l’imbécillité de sa conduite, le jeune homme, un étudiant en rupture d’Université, ne me déplut pas. Bientôt, nous nous tutoyions et, en descendant du train, je pris note qu’il m’attendrait le soir même, à neuf heures, boulevard de Tver.

Je fus exact au rendez-vous, et mon ami m’associa à son jeu. Voici. Avisant une honnête femme, nous nous placions sans un mot, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. De l’air le plus flegmatique et comme si nous ignorions sa présence, nous engagions une conversation méticuleusement obscène, où je faisais merveille, encore que je ne connusse des choses du sexe que le vocabulaire (douces causeries de l’enfance !) et point du tout la technique. Effarée, la femme accélérait son allure ; nous accélérions la nôtre et continuions, notre dialogue. Que pouvait faire la victime ? Il n’y avait pas de témoins, et puis une plainte à la police est toujours chose délicate…

À ces turlupinades nous consacrâmes huit journées consécutives. M’amusais-je ? Je n’en réponds pas. (Au début, cette farce avait pu me plaire pour ce qu’elle avait d’imprévu, et, d’ailleurs, j’exécrais les femmes…) Une fois, je racontai à étudiant que Jean-Jacques avoue dans ses Confessions, qu’au temps de son adolescence, il aimait