Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un surmenage effroyable en résulte, car s’il met son honneur dans cette ardue fidélité, il crèverait à la peine plutôt que de livrer de l’ouvrage imparfait ; et vers la fin de sa vie, il pourra dire : « Pendant toute ma carrière littéraire, j’ai toujours rempli exactement mes engagements ; je n’y ai jamais manqué une fois ; de plus, je n’ai jamais écrit uniquement pour de l’argent afin de me débarrasser de l’engagement pris » ; et peu avant, dans la même lettre : « Je n’ai jamais imaginé un sujet pour de l’argent, pour satisfaire à l’obligation une fois acceptée d’écrire pour un terme fixé d’avance. Je me suis toujours engagé — et vendu à l’avance — quand j’avais déjà mon sujet en tête, que je voulais réellement écrire et que je trouvais nécessaire d’écrire. » De sorte que si, dans une de ses premières lettres, écrite à vingt-quatre ans, il s’écrie : « Quoi qu’il en soit j’ai fait le serment : même parvenu aux dernières limites de la privation, je tiendrai bon et n’écrirai pas sur commande. La commande tue ; la commande perd tout. Je veux que chacune de mes œuvres, par elle-même, soit bien », — l’on peut dire sans trop de subtilité que, malgré tout, il s’est tenu parole.

Mais il garde toute sa vie la conviction douloureuse qu’avec plus de temps, de liberté, il eût pu mener à mieux sa pensée : « Ce qui me tourmente beaucoup, c’est que, si j’écrivais le