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religion, c’est-à-dire la philosophie et l’art. Rome a divinisé le peuple dans l’État, et elle a légué l’État aux nations modernes. La France, dans le cours de sa longue histoire, n’a fait qu’incarner et développer en elle l’idée de son dieu romain.

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Si un grand peuple ne croit pas qu’en lui seul se trouve la vérité, s’il ne se croit pas seul appelé à ressusciter et à sauver l’univers par sa vérité, il cesse immédiatement d’être un grand peuple pour devenir une matière ethnographique. Jamais un peuple vraiment grand ne peut se contenter d’un rôle secondaire dans l’humanité ; un rôle même important ne lui suffit pas ; il lui faut absolument le premier. La nation qui renonce à cette conviction renonce à l’existence.

Et comme corollaire à cela, cette réflexion de Stavroguine, qui pourrait bien servir de conclusion aux précédentes : « Quand on n’a plus d’attache avec son pays, on n’a plus de Dieu. »

Que pourrait bien penser aujourd’hui Dostoïevsky de la Russie et de son peuple « déifère » ? Il est, certes, bien douloureux de l’imaginer… Prévoyait-il, pouvait-il pressentir la détresse abominable d’aujourd’hui ?

Dans ses Possédés, nous voyons déjà tout le bolchevisme qui se prépare. Écoutons seulement Chigaleff exposer son système, et avouer à la fin de son exposé :

Je me suis embarrassé dans mes propres données et ma conclusion est en contradiction directe