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J’ai cherché pendant trois ans l’attribut de ma divinité, et je l’ai trouvé ; l’attribut de ma divinité, c’est l’indépendance. C’est tout ce par quoi je puis montrer au plus haut degré mon insubordination, ma nouvelle et terrible liberté, car elle est terrible. Je me tuerai pour affirmer mon insubordination, ma nouvelle et terrible liberté[1].

Si impie que paraisse ici Kiriloff, soyez certains que Dostoïevsky, en imaginant sa figure, reste halluciné par l’idée du Christ, par la nécessité du sacrifice sur la croix, en vue du salut de l’humanité. S’il était nécessaire que le Christ fût sacrifié, n’est-ce pas précisément pour nous permettre à nous, chrétiens, d’être chrétiens, sans mourir de la même mort ? « Sauve-toi toi-même, si tu es Dieu », dit-on au Christ. — « Si je me sauvais moi-même, c’est vous alors qui seriez perdus. C’est pour vous sauver que je me perds, que je fais le sacrifice de ma vie. »

Ces quelques lignes de Dostoïevsky, que je lis dans l’appendice de la traduction française de sa Correspondance, jettent sur le personnage de Kiriloff une nouvelle lumière :

Comprenez-moi bien, le sacrifice volontaire, en pleine conscience et libre de toute contrainte, le sacrifice de soi-même au profit de tous, est selon moi l’indice du plus grand développement de la personnalité, de sa supériorité, d’une possession parfaite de soi-même, du plus grand libre arbitre. Sacrifier volontairement sa vie pour les autres, se

  1. Possédés, II, p. 339.