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poir… Non : aucun afflux d’argent qui ne fût aussitôt absorbé par les dettes ; de sorte qu’il pouvait écrire, à cinquante ans : « Toute ma vie j’ai travaillé pour de l’argent et toute ma vie j’ai été constamment dans le besoin ; à présent plus que jamais. » Les dettes… ou le jeu, le désordre, et cette générosité instinctive, immesurée, qui faisait dire à Riesenkampf, le compagnon de sa vingtième année : « Dostoïevsky est un de ces gens auprès desquels il fait pour tous très bon vivre, mais qui lui-même restera toute sa vie dans le besoin. »

À l’âge de cinquante ans il écrit : « Ce futur roman (il s’agit ici des Frères Karamazov, qu’il n’écrira que neuf ans plus tard), ce futur roman me tourmente déjà depuis plus de trois ans ; mais je ne le commence pas, car je voudrais l’écrire sans me presser, comme écrivent les Tolstoï, les Tourgueniev, les Gontcharov. Qu’il existe donc au moins une de mes œuvres qui soit libre et non écrite pour une époque déterminée. » — Mais c’est en vain qu’il dira : « Je ne comprends pas le travail fait à la hâte, pour de l’argent » ; cette question d’argent interviendra toujours dans son travail, et la crainte de ne pouvoir livrer ce travail à temps : « J’ai peur de ne pas être prêt, d’être en retard. Je n’aurais pas voulu gâter les choses par ma hâte. Il est vrai, le plan est bien conçu et étudié ; mais on peut tout gâter avec trop de hâte. »