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idée d’ordre mystique, que Pierre est incapable de comprendre.

Si Dieu existe, tout dépend de lui, et je ne puis rien en dehors de sa volonté. S’il n’existe pas, tout dépend de moi, et je suis tenu d’affirmer mon indépendance… C’est en me tuant que j’affirmerai mon indépendance de la façon la plus complète. Je suis tenu de me brûler la cervelle.

Et encore :

— Dieu est nécessaire, et par conséquent doit exister.

— Allons, très bien, dit Pierre Stépanovitch, qui n’a qu’une idée : c’est d’encourager Kiriloff.

— Mais je sais qu’il n’existe pas et qu’il ne peut exister.

— C’est encore plus vrai.

— Comment ne comprends-tu pas qu’avec ces deux idées, il est impossible à l’homme de continuer à vivre ?

— Il doit se brûler la cervelle, n’est-ce pas ?

— Comment ne comprends-tu pas que c’est là une raison suffisante pour se tuer…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Mais vous ne serez pas le premier qui se sera tué ; bien des gens se sont suicidés.

— Ils avaient des raisons. Mais d’hommes qui se soient tués sans aucun motif et uniquement pour attester leur indépendance, il n’y en a pas encore eu : je serai le premier.

« Il ne se tuera pas », pensa de nouveau Pierre Stépanovitch.

— Savez-vous une chose ? observa-t-il d’un ton agacé, à votre place, pour manifester mon indépendance, je tuerais un autre que moi. Vous