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de se débarrasser de leur ennemi. Le retour de Marie, en changeant le cours des préoccupations de Chatoff, lui ôta cette sagacité et sa prudence accoutumée. Il eut dès lors bien autre chose en tête que sa sécurité personnelle[1].

Revenons à Kiriloff : le moment est venu où Pierre Stépanovitch compte profiter de son suicide. Quelle raison Kiriloff a-t-il de se tuer ? Pierre Stépanovitch l’interroge. Il ne comprend pas bien. Il tâtonne. Il voudrait comprendre. Il a peur qu’au dernier moment, Kiriloff ne change d’idée, ne lui échappe… Mais non.

Je ne remettrai pas à plus tard, dit Kiriloff, c’est maintenant même que je veux me donner la mort.

Le dialogue entre Pierre Stépanovitch et Kiriloff reste particulièrement mystérieux. Il est resté très mystérieux dans la pensée même de Dostoïevsky. Encore une fois, Dostoïevsky n’exprime jamais ses idées à l’état pur, mais toujours en fonction de ceux qui parlent, de ceux à qui il les prête, et qui en sont les interprètes. Kiriloff est dans un état morbide des plus étranges. Il va se tuer dans quelques minutes, et ses propos sont brusques, incohérents ; c’est à nous de démêler, au travers, la pensée même de Dostoïevsky.

L’idée qui pousse Kiriloff au suicide est une

  1. Possédés, II, p. 284.