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entrer d’absurde dans ce monde, à la faveur et à l’abri d’un « acte gratuit », c’est ce que nous allons voir.

Depuis que Kiriloff a pris cette résolution de se tuer, tout lui est devenu indifférent ; singulier état d’esprit dans lequel il se trouve, qui permet et qui motive son suicide et (car cet acte, pour être gratuit, n’est pourtant point immotivé) le laisse indifférent à l’imputation d’un crime que d’autres commettront et qu’il acceptera d’endosser ; c’est du moins ce que pense Pierre Stépanovitch.

Pierre Stépanovitch, pense, par ce crime qu’il projette, lier des conjurés à la tête desquels il s’est mis, mais dont il sent que la dénomination lui échappe. Il estime que chacun des conjurés ayant participé au crime se sentira complice, qu’aucun d’eux ne pourra, n’osera se dégager. — Qui va-t-on tuer ?

Pierre Stépanovitch hésite encore. — Il importe que la victime se désigne elle-même.

Les conjurés sont réunis dans une salle commune ; et au cours de leur conversation, une question se pose : « Se peut-il que, parmi nous, il y ait en ce moment un mouchard ? » Une agitation extraordinaire suit ces paroles ; tout le monde se met à parler en même temps.

— Messieurs, s’il en est ainsi, poursuit Pierre Stépanovitch, je me suis plus compromis qu’aucun autre, par conséquent, je vous prie de répondre à