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Instruit par son propre cas, Dostoïevsky va supposer un état maladif qui, pour un temps, apporte avec lui et suggère à tel de ses personnages une formule de vie différente. En l’espèce, nous avons affaire à Kiriloff, ce personnage des Possédés sur lequel repose toute l’intrigue du roman. Nous savons que Kiriloff va se tuer, non point qu’il doive se tuer tout de suite, mais il a l’intention de se tuer. Pourquoi ? C’est ce que nous n’apprendrons que vers la fin du livre.

— Votre idée de vous donner la mort est une fantaisie à laquelle je ne comprends rien lui dira Pierre Stépanovitch, et ce n’est pas moi qui vous l’ai fourrée dans la tête[1] ; vous aviez déjà formé ce projet avant d’entrer en rapport avec moi et, quand vous en avez parlé pour la première fois, ce n’est pas à moi, mais à nos coreligionnaires politiques réfugiés à l’étranger. Remarquez en outre qu’aucun d’eux n’a rien fait pour provoquer de votre part une semblable confidence ; aucun d’eux même ne vous connaissait. C’est vous-même, qui, de votre propre mouvement, êtes allé leur faire part de la chose. Eh bien ! que faire, si prenant en considération votre offre spontanée, on a alors fondé là-dessus, avec votre consentement, — notez ce point, — un certain plan d’action qu’il n’y a plus maintenant moyen de modifier.

Le suicide de Kiriloff est un acte absolument gratuit, je veux dire que sa motivation n’est point extérieure. Tout ce que l’on peut faire

  1. Possédés, II, p. 332.