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Où Nietzsche pressent une apogée, Dostoïevsky ne prévoit qu’une faillite.

J’ai lu ceci dans la lettre d’un infirmier que sa modestie me défend de nommer. C’était au temps le plus obscur de cette guerre ; il ne voyait que souffrances atroces, n’entendait que des paroles de désespoir : « Ah ! si seulement ils savaient offrir leurs souffrances », écrivait-il.

Il y a dans ce cri tant de lumière que je me reprocherais d’y apporter un commentaire. Tout au plus le rapprocherai-je de cette phrase des Possédés :

Quand tu abreuveras la terre de tes larmes, quand tu en feras présent, ta tristesse s’évanouira aussitôt, et tu seras tout consolé[1].

Nous sommes ici bien près de la « résignation totale et douce » de Pascal, qui le faisait s’écrier : « Joie ! joie ! pleurs de joie. »

Cet état de joie que nous retrouvons dans Dostoïevsky, n’est-ce pas celui même que nous propose l’Évangile ; cet état dans lequel nous permet d’entrer ce que le Christ appelait la nouvelle naissance ; cette félicité qui ne s’obtient que par le renoncement de ce qui est en nous d’individuel ; car c’est l’attachement à nous-mêmes qui nous retient de plonger dans l’Éternité, d’entrer dans le royaume de Dieu

  1. Possédés, I, p. 148.