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Le dialogue continue, et nous allons voir apparaître cette pensée singulière de l’homme-Dieu.

— Ainsi, vous qui savez cela, vous êtes bon ?

— Oui.

— Là-dessus, du reste, je suis de votre avis, murmura, en fronçant les sourcils, Stavroguine.

— Celui qui apprendra aux hommes qu’ils sont bons, celui-là finira le monde.

— Celui qui le leur a appris, ils l’ont crucifié.

— Il viendra, et son nom sera l’homme-Dieu.

— Le Dieu-homme ?

— L’homme-Dieu ; il y a une différence.

Cette idée de l’homme-Dieu, succédant au Dieu-homme, nous ramène à Nietzsche. Ici encore, je voudrais apporter une retouche à propos de la doctrine du « surhomme » et m’élever contre une opinion trop souvent accréditée, trop légèrement admise ; le surhomme de Nietzsche — et cela nous permettra de le différencier du surhomme entrevu par Raskolnikoff et Kiriloff — s’il a pour devise le : « Soyez dur », si souvent cité, souvent si mal interprété, ce n’est pas contre les autres qu’il exercera cette dureté, c’est contre lui-même. L’humanité qu’il prétend surpasser, c’est la sienne. Je me résume : partant du même problème, Nietzsche et Dostoïevsky proposent à ce problème des solutions différentes, opposées. Nietzsche propose une affirmation de soi, il y voit le but de la vie. Dostoïevsky propose une résignation.