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que de Rome. Encore que cette acceptation de l’énergie chez Dostoïevsky, qui devient même une glorification de l’énergie chez Blake, soit plus occidentale qu’orientale.

Mais Blake et Dostoïevsky sont l’un et l’autre trop éblouis par les vérités de l’Évangile pour ne pas admettre que cette férocité ne soit pas transitoire et le résultat passager d’une sorte d’aveuglement, c’est-à-dire appelée à disparaître.

Et ce serait trahir Blake que de ne vous le présenter que sous son apparence cruelle. En regard de ses terribles Proverbes de l’Enfer que je vous citais, je voudrais pouvoir vous lire tel poème de lui, le plus beau peut-être de ses Chants d’innocence, — mais comment oser traduire une poésie si fluide, — où il annonce et prédit le temps où la force du lion ne s’emploiera plus qu’à protéger la faiblesse de l’agneau et qu’à veiller sur le troupeau.

De même, poussant un peu plus loin la lecture de cet étonnant dialogue des Possédés, nous entendons Kiriloff ajouter :

Ils ne sont pas bons, puisqu’ils ne savent pas qu’ils le sont. Quand ils l’auront appris, ils ne violeront plus de petites filles. Il faut qu’ils sachent qu’ils sont bons et, instantanément, ils le deviendront tous, jusqu’au dernier[1].

  1. Possédés, I, p. 258.