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— Mais vous êtes décidé à vous brûler la cervelle ?

Nous avons vu de même Dimitri Karamazov prêt à se tuer dans une crise d’optimisme, par pur enthousiasme :

— Eh bien ! Pourquoi mêler deux choses qui sont distinctes l’une de l’autre ? La vie existe et la mort n’existe pas.

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— Vous paraissez fort heureux, Kiriloff ?

— Je suis fort heureux en effet, reconnut celui-ci du même ton dont il eût fait la réponse la plus ordinaire.

— Mais il n’y a pas encore si longtemps, vous étiez de mauvaise humeur, vous vous êtes fâché contre Lipoutine ?

— Hum ! à présent je ne gronde plus. Alors, je ne savais pas que j’étais heureux… L’homme est malheureux parce qu’il ne connaît pas son bonheur, uniquement pour cela. Celui qui saura qu’il est heureux deviendra tout de suite grand à l’instant même… Tout est bien ; j’ai découvert cela brusquement.

— Et si l’on meurt de faim : et si l’on viole une petite fille, c’est bien aussi ?

— Oui, tout est bien pour quiconque sait que tout est tel.

Ne vous méprenez pas sur cette apparente férocité, que souvent on voit reparaître dans l’œuvre de Dostoïevsky. Elle fait partie du quiétisme, analogue à celui de Blake, de ce quiétisme qui me faisait dire que le christianisme de Dostoïevsky était plus près de l’Asie