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nante phrase de Blake : « La raison pour laquelle Milton écrivait dans l’empêchement, lorsqu’il peignait Dieu et les anges, écrivait dans la liberté, lorsqu’il peignait les démons et l’enfer, c’est qu’il était un vrai poète, donc du parti du diable sans le savoir. »

Trois chevilles tendent le métier où se tisse toute œuvre d’art, et ce sont les trois concupiscences dont parlait l’apôtre : « La convoitise des yeux, la convoitise de la chair, et l’orgueil de la vie. » Souvenez-vous du mot de Lacordaire, comme on le félicitait après un admirable sermon qu’il venait de prononcer : « Le diable me l’avait dit avant vous. » Le diable ne lui aurait point dit que son sermon était beau, il n’aurait pas eu du tout à le lui dire, s’il n’avait lui-même collaboré au sermon.

Après avoir cité les vers de l’Hymne à la joie de Schiller :

La beauté, s’écrie Dimitri Karamazov, quelle chose terrible et affreuse ; une chose terrible. C’est là que le diable entre en lutte avec Dieu ; et le champ de bataille, c’est le cœur de l’homme[1].

Aucun artiste sans doute n’a fait dans son œuvre la part du diable aussi belle que Dostoïevsky, sinon Blake précisément, qui disait — et c’est sur cette phrase que s’achève son

  1. Karamazov, III, p. 3 (d’après la traduction allemande).