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qu’on puisse relever au cours de ce sombre livre.

Il n’écrira donc que pressé par la nécessité la plus dure. Chacune de ses lettres (si toutefois l’on en excepte celles des dix dernières années de sa vie, d’un ton tout autre, et sur lesquelles je reviendrai spécialement), chacune de ses lettres est un cri : il n’a plus rien ; il est à bout ; il demande. Que dis-je : un cri… c’est un interminable et monotone gémissement de détresse ; il demande sans habileté, sans fierté, sans ironie ; il demande et il ne sait pas demander. Il implore ; il presse ; il y revient, insiste, détaille ses besoins… Il me fait souvenir de cet ange qui, sous les traits d’un errant voyageur, ainsi que les Fioretti de saint François nous le racontent, vint au Val-de-Spolete heurter l’huis de la naissante confrérie. Il frappait si précipitamment, est-il dit, si longuement, si fort, que les frati s’en indignèrent et que frate Masseo (M. de Vogüé, je suppose), qui enfin lui ouvrit la porte, lui dit : « D’où viens-tu donc pour frapper si peu décemment ? » — Et l’ange lui ayant demandé : « Comment faut-il frapper ? » Masseo répondit : « On frappe trois coups espacés, puis on attend. Il faut laisser à celui qui vient ouvrir le temps de dire son patenôtre ; ce temps passé, s’il ne vient pas, on recommence… » — « C’est que j’ai si grand’hâte », reprend l’ange…