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lorsqu’il atteint l’extrémité de sa détresse. C’est alors seulement que jaillira ce cri : « Seigneur, à qui irions-nous ! tu as les paroles de la vie éternelle. »

Il sait que, ce cri, ce n’est pas de l’honnête homme qu’on peut l’attendre, de celui qui a toujours su où aller, de celui qui se croit en règle envers soi-même et envers Dieu, mais bien de celui qui ne sait plus où aller ! « Comprenez-vous ce que cela veut dire, disait Marmeladoff à Raskolnikoff. Comprenez-vous ce que signifient ces mots : n’avoir plus où aller ? Non, vous ne comprenez pas encore cela[1]. » C’est seulement par delà sa détresse et son crime, par delà même le châtiment, c’est seulement après s’être retranché de la société des hommes que Raskolnikoff s’est trouvé en face de l’Évangile.

Il y a sans doute quelque confusion dans tout ce que je vous ai dit aujourd’hui… mais Dostoïevsky en est également responsable : « La culture trace des chemins droits, nous dit Blake, mais les chemins sinueux sans profit sont ceux-là même du génie. »

En tout cas, Dostoïevsky était bien convaincu, comme je le suis aussi, qu’il n’y a aucune confusion dans les vérités évangéliques, — et c’est là l’important.


  1. Crime et châtiment, I, p. 20.