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amour et haine, sont également nécessaires à l’existence humaine. » Et plus loin : « Il y a et il y aura toujours sur la terre ces deux postulations contraires qui seront toujours ennemies. Essayer de les réconcilier, c’est s’efforcer de détruire l’existence. »

À ces Proverbes de l’Enfer de William Blake, je voudrais en ajouter deux autres de mon cru : « C’est avec les beaux sentiments que l’on fait la mauvaise littérature : », et : « Il n’y a pas d’œuvre d’art sans collaboration du démon. » Oui, vraiment, toute œuvre d’art est un lieu de contact, ou, si vous préférez, est un anneau de mariage du ciel et de l’enfer ; et William Blake nous dira : « La raison pour laquelle Milton écrivait dans la gêne lorsqu’il peignait Dieu et les anges, la raison pour laquelle il écrivait dans la liberté lorsqu’il peignait les démons et l’enfer, c’est qu’il était un vrai poète et du parti du diable, sans le savoir. »

Dostoïevsky a été tourmenté toute sa vie à la fois par l’horreur du mal et par l’idée de la nécessité du mal (et par le mal, j’entends également la souffrance). Je songe, en le lisant, à la parabole du Maître du Champ : « Si tu veux, lui dit un serviteur, nous irons arracher la mauvaise herbe. — Non ! répond le Maître, laissez, avec le bon grain, et jusqu’au jour de la moisson, croître l’ivraie. »

Je me souviens qu’ayant eu l’occasion de rencontrer, il y a plus de deux ans, Walter