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jourd’hui cette double attirance qui écartèle Stavroguine :

Il y a dans tout homme, disait Baudelaire, deux postulations simultanées : l’une vers Dieu, l’autre vers Satan.

Au fond, ce que chérit Stavroguine, c’est l’énergie. Nous demanderons à William Blake l’explication de ce mystérieux caractère. « L’Énergie est la seule vie. L’Énergie, c’est l’éternel délice », disait Blake.

Écoutez encore ces quelques proverbes : « Le chemin de l’excès mène au palais de la sagesse », ou encore : « Si le fou persévérait dans sa folie, il deviendrait sage », et cet autre : « Celui-là seul connaît la suffisance qui d’abord a connu l’excès. » Cette glorification de l’énergie prend chez Blake les formes les plus diverses : « Le rugissement du lion, le hurlement des loups, le soulèvement de la mer en furie et le glaive destructeur sont des morceaux d’éternité trop énormes pour l’œil des hommes. »

Lisons encore ceci : « Citerne contient, fontaine déborde », et : « Les tigres de la colère sont plus sages que les chevaux du savoir » ; et enfin cette pensée par laquelle s’ouvre son livre Du Ciel et de l’Enfer, et que Dostoïevsky semble s’être appropriée sans la connaître : « Sans contraires, il n’y a pas de progrès : Attraction et répulsion, raison et énergie,