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version pour ainsi dire des singuliers rapports du penseur Ivan et du laquais Smerdiakoff des Frères Karamazov — ce dernier livre de Dostoïevsky, — dans Crime et châtiment, le premier de ses grands romans. Il nous y est parlé d’un certain Philca, domestique de Svidrigaïloff, qui se pend, pour échapper, non pas aux coups de son maître, mais à ses railleries. « C’était, nous est-il dit, un hypocondriaque », une sorte de domestique philosophe… « Ses camarades prétendaient que la lecture lui avait troublé l’esprit[1]. »

Il y a chez tous ces subalternes, ces « singes », ces laquais, chez tous ces êtres qui agiront à la place de l’intellectuel, un amour, une dévotion, pour la supériorité diabolique de l’esprit. Le prestige dont jouit Stavroguine, aux yeux de Pierre Stépanovitch, est extrême ; extrême également le mépris de l’intellectuel pour cet inférieur.

Voulez-vous que je vous dise toute la vérité ? dit Pierre Stepanovitch à Stavroguine. Voyez-vous, cette idée s’est bien offerte un instant à mon esprit (cette idée c’est un assassinat abominable). Vous-même vous me l’aviez suggérée, sans y attacher d’importance, il est vrai, et seulement pour me taquiner, car vous ne me l’auriez pas suggérée sérieusement[2].

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  1. Crime et châtiment, II, pp. 10 et 24.
  2. Possédés, II, p. 222