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Pouchkine, légère et élégante, de quelques lignes, paraît justement écrite en une fois parce qu’elle a été longtemps arrangée et reprise par Pouchkine… Rien de ce qui a été écrit de chic n’est mûr. On ne trouve pas de ratures dans les manuscrits de Shakespeare, dit-on. C’est pour cela qu’on y trouve tant de difformités et de manque de goût ; s’il eût travaillé, c’eût été encore mieux… »

Voilà le ton de la correspondance entière. Le meilleur de son temps, de son humeur, Dostoïevsky le donne au travail. Aucune de ses lettres n’est écrite par plaisir. Constamment il revient sur son « dégoût terrible, invincible, inimaginable, d’écrire des lettres ». — « Les lettres, dit-il, sont des choses stupides ; on ne peut pas du tout s’y épancher. » Et mieux : « Je vous écris tout et je vois que du principal de ma vie morale, spirituelle, je ne vous ai rien dit ; je ne vous en ai même pas donné une idée. Ce sera ainsi tant que nous resterons en correspondance. Je ne sais pas écrire les lettres ; je ne sais pas écrire de moi, m’écrire avec mesure. » Il déclare par ailleurs : « On ne peut jamais rien écrire dans une lettre. Voilà pourquoi je n’ai jamais pu souffrir Mme de Sévigné : elle écrivait ses lettres trop bien. » Ou encore, humoristiquement : « Si je vais en enfer, je serai certainement condamné pour mes péchés à écrire une dizaine de lettres par jour » — et c’est bien, je crois, l’unique plaisanterie