Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le soleil, j’ai voulu oser et j’ai tué. J’ai voulu simplement faire acte d’audace[1].

Et plus tard, après le crime :

Si c’était à refaire, ajoute-t-il, peut-être ne recommencerais-je pas. Mais alors, il me tardait de savoir si j’étais un être abject comme les autres ou un homme dans la vraie acception du mot ; si j’avais ou non en moi la force de franchir l’obstacle, si j’étais une créature tremblante ou si à j’avais le droit[2].

Du reste, il n’accepte pas l’idée de sa propre faillite. Il n’accepte pas d’avoir eu tort d’oser.

C’est parce que j’ai échoué que je suis un misérable ! Si j’avais réussi, on me tresserait des couronnes, tandis qu’à présent, je ne suis plus bon qu’à jeter aux chiens[3].

Après Raskolnikoff, ce sera Stavroguine ou Kiriloff, Ivan Karamazov ou l’Adolescent.

La faillite de chacun de ses héros intellectuels tient également à ceci, que Dostoïevsky considère l’homme d’intelligence comme à peu près incapable d’action.

Dans l’Esprit souterrain, ce petit livre qu’il écrivait peu avant l’Éternel Mari, et qui me semble marquer le point culminant de sa carrière, qui est comme la clé de voûte de son œuvre, ou, si vous le préférez, qui donne la clé

  1. Crime et châtiment, II, p. 163.
  2. Ibid., p. 164.
  3. Ibid., p. 272.