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l’auteur d’un article tant soit peu subversif où il expose que :

Les hommes sont divisés en ordinaires et extraordinaires : les premiers doivent vivre dans l’obéissance, et n’ont pas le droit de violer la loi, attendu qu’ils sont des hommes ordinaires. Les seconds ont le droit de commettre tous les crimes et de transgresser toutes les lois, pour cette raison que ce sont des hommes extraordinaires.

C’est ainsi du moins que Porphyre croit pouvoir résumer l’article.

Ce n’est pas tout à fait cela, commença Raskolnikoff d’un ton simple et modeste. J’avoue du reste que vous avez reproduit à peu près exactement ma pensée ; si vous voulez, je dirai même très exactement… (il prononça ces mots avec un certain plaisir), seulement je n’ai pas dit, comme vous me le faites dire, que les gens extraordinaires sont absolument tenus de commettre toujours toutes sortes d’actions criminelles. Je crois même que la censure n’aurait pas laissé paraître un article écrit dans ce sens. Voici tout bonnement ce que j’ai avancé : « L’homme extraordinaire a le droit d’autoriser sa conscience à franchir certains obstacles dans le cas seulement où l’exige la réalisation de son idée, laquelle peut être parfois utile à tout le genre humain. »

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Dans la suite de mon article, j’insiste, je m’en souviens, sur cette idée que tous les législateurs et les guides de l’humanité, en commençant par les plus anciens, que tous sans exception étaient des criminels, car en donnant de nouvelles lois, ils ont pour cela même violé les anciennes, observées fidè-