Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chit et qui imagine sans agir s’empoisonne, et je vais de nouveau vous citer ici William Blake : « L’homme qui désire, mais n’agit point, engendre la pestilence. » C’est bien de cette pestilence que Nietzsche meurt empoisonné.

« Que peut un homme ? » Cette question, c’est proprement la question de l’athée, et Dostoïevsky l’a admirablement compris : c’est la négation de Dieu qui fatalement entraîne l’affirmation de l’homme :

« Il n’y a pas de Dieu ? Mais alors…, alors tout est permis. » Nous lisons ces mots dans les Possédés. Nous les retrouverons dans les Karamazov.

Si Dieu existe, tout dépend de lui, et je ne puis rien en dehors de sa volonté. S’il n’existe pas, tout dépend de moi, et je suis tenu d’affirmer mon indépendance[1].

Comment affirmer son indépendance ? Ici l’angoisse commence. Tout est permis. Mais quoi ? Que peut un homme ?

Chaque fois que dans les livres de Dostoïevsky nous voyons un de ses héros se poser cette question, nous pouvons être assurés que peu de temps après, nous assisterons à sa banqueroute. Nous voyons d’abord Raskolnikoff : c’est chez lui que cette idée pour la première fois se dessine ; cette idée, qui, chez Nietzsche, devient celle du surhomme. Raskolnikoff est

  1. Les Possédés, II, p. 336.