Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aliocha confesse au père Zossima son secret désir d’achever ses jours dans le monastère, Zossima lui dit : « Quitte ce couvent, tu seras plus utile là-bas : tes frères ont besoin de toi. » — « Non pas les enlever du monde, mais les préserver du Malin » disait le Christ.

Je remarque (et ceci va nous permettre d’aborder la partie démoniaque des livres de Dostoïevsky) que la plupart des traductions de la Bible traduisent ainsi ces paroles du Christ : « Mais de les préserver du mal », ce qui n’est pourtant pas la même chose. Les traductions dont je parle sont, il est vrai, des traductions protestantes. Le protestantisme a une tendance à ne pas tenir compte des anges ni des démons. Il m’est arrivé assez souvent de demander, par manière d’expérience, à des protestants : « Croyez-vous au diable ? » Et chaque fois, cette demande a été accueillie avec une sorte de stupeur. Le plus souvent, je me rendais compte que c’était là une question que le protestant ne s’était jamais posée. Il finissait par me répondre : « Mais naturellement, je crois au mal », et lorsque je le poussais, il finissait par avouer qu’il ne voyait dans le mal que l’absence du bien, tout comme dans l’ombre l’absence de la lumière. Nous sommes donc ici très loin des textes de l’Évangile, qui font allusion à maintes reprises à une puissance diabolique, réelle, présente, particulière. Non point : « Les préserver du mal », mais « les préserver du Malin ».