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liques, — et nous vous l’avons maintes fois expliqué et vous sembliez vous-même l’avoir compris : l’Évangile, les paroles du Christ, prises isolément, ne nous mènent qu’à l’anarchie ; de là précisément la nécessité de saint Paul, de l’Église, du catholicisme tout entier.

Je leur laisse le dernier mot.

Ainsi donc, sinon à l’anarchie, c’est à une sorte de bouddhisme, de quiétisme du moins, que nous conduit Dostoïevsky (et nous verrons qu’aux yeux des orthodoxes, ce n’est pas là sa seule hérésie). Il nous entraîne très loin de Rome (je veux dire des encycliques), très loin aussi de l’honneur mondain.

« Mais enfin, prince, êtes-vous un honnête homme ? » s’écrie un de ses personnages en s’adressant à Muichkine, celui de tous ses héros qui incarnait le mieux sa pensée, son éthique plutôt, — du moins tant qu’il n’avait pas écrit les Karamazov et ne nous avait pas présenté les figures séraphiques d’Aliocha et du starets Zossima. Que nous propose-t-il alors ? Est-ce une vie contemplative ? Une vie où, toute intelligence et toute volonté résignées, l’homme, hors du temps, ne connaîtrait plus que l’amour ?

C’est peut-être bien là qu’il trouverait le bonheur, mais ce n’est point là que Dostoïevsky y voit la fin de l’homme. Aussitôt que le prince Muichkine, loin de sa patrie, est arrivé à cet état supérieur, il éprouve un urgent besoin de retourner dans son pays ; et lorsque le jeune