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exemple encore de lettres de littérateur si mal écrites, j’entends : avec si peu d’apprêt. Lui, si habile à « parler autrui », lorsqu’il s’agit de parler en son propre nom, s’embarrasse ; il semble que les idées, sous sa plume, ne viennent pas successives mais simultanées, ou que, pareilles à ces « fardeaux branchus » dont parlait Renan, il ne les puisse tirer au jour qu’en s’écorchant et en accrochant tout au passage ; de là, ce foisonnement confus, qui, maîtrisé, servira dans la composition de ses romans, à leur complexité puissante. Lui, si dur, si âpre au travail, qui corrige, détruit, reprend inlassablement chacun de ses récits, page après page, jusqu’à faire rendre à chacun d’eux l’âme profonde qu’il contient — écrit ici tout comme il peut ; sans rien biffer sans doute, mais se reprenant constamment ; le plus vite possible, c’est-à-dire interminablement. Et rien ne laisse mesurer mieux la distance de l’œuvre à l’ouvrier qui la produit. Inspiration ! ô flatteuse invention romantique ! Muses faciles ! où êtes-vous ? — « Une longue patience » ; si jamais l’humble mot de Buffon fut à sa place, c’est ici.

« Quelle théorie est donc la tienne, mon ami, — écrit-il à son frère, presque au début de sa carrière, — qu’un tableau doit être peint en une fois ? — Quand as-tu été persuadé de cela ? Crois-moi ; il faut partout du travail et un travail énorme. Crois-moi qu’une pièce de vers de