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— Oui, je les aime, dit Kiriloff, d’un ton assez indifférent du reste.

— Alors vous aimez aussi la vie ?

— Oui ! j’aime la vie ! Cela vous étonne ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Vous croyez à la vie éternelle dans l’autre monde ?

— Non ! mais à la vie éternelle dans celui-ci. Il y a des moments, vous arrivez à des moments, où le temps s’arrête tout à coup pour faire place à l’éternité[1].

Je pourrais multiplier les citations, mais sans doute celles-ci suffisent.

Je suis frappé, chaque fois que je lis l’Évangile, de l’insistance avec laquelle reviennent sans cesse les mots : « Et nunc. » Dès à présent. Certainement Dostoïevsky a été frappé lui aussi par cela : que la béatitude, que l’état de béatitude promise par le Christ, peut être atteinte immédiatement, si l’âme humaine se renie et se résigne elle-même : Et nunc…

La vie éternelle n’est pas (ou du moins n’est pas seulement) une chose future, et si nous n’y parvenons pas d’ici-bas, il n’y a guère d’espoir que nous puissions jamais y atteindre.

Lisons encore, à ce sujet, ce passage de l’admirable Autobiography de Marc Rutherford.

En devenant vieux, je compris mieux combien folle était cette perpétuelle course après le futur,

  1. Possédés, II, p. 256.