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entendre que le choix des lettres livrées par les éditeurs russes eût pu être mieux fait[1] ; il ne me convainc point que la tonalité en aurait été différente. Tel que voici, le volume est épais, étouffant[2], non point en raison du nombre des lettres, mais de l’énorme informité de chacune d’elles. Peut-être n’avions-nous pas

  1. Il peut nous paraître (dit celui-ci) et surtout après un regard jeté sur la correspondance intime de Dostoïevsky, qu’Anna Grigorievna, veuve du poète, et André Dostoïevsky, frère cadet du poète, aient été mal conseillés dans le choix des lettres qu’ils ont livrées à la publicité, et que, sans nuire en rien à la discrétion, ils eussent avantageusement remplacé par quelques lettres plus intimes maintes lettres qui ne traitent que de la question d’argent. — Il n’existe pas moins de quatre cent soixante-quatre lettres de Dostoïevsky a Anna Grigorievna, sa seconde femme, dont aucune n’a été encore livrée au public.
  2. Pour épais que soit ce volume, il eût pu l’être, il eût dû l’être davantage. Nous déplorons que M. Bienstock n’ait pas pris soin de réunir aux lettres offertes d’abord au public celles parues depuis dans diverses revues. Pourquoi, par exemple, ne donne-t-il que la première des trois lettres parues dans la Niva (avril 1898) ? Pourquoi pas la lettre du 1er décembre 1856 à Vrangel — du moins les fragments qui en ont été donnés, où Dostoïevsky raconte son mariage et manifeste l’espoir d’être guéri de son hypocondrie par le bouleversement heureux de sa vie ? Pourquoi pas surtout l’admirable lettre du 22 février 1854, importante entre toutes, parue dans la Rousskaia Starina et dont la traduction (Halpérine et Ch. Morice) a paru dans la Vogue du 12 juillet 1886 ? Et si nous le félicitons de nous avoir donné en supplément de ce volume la Requête à l’empereur, les trois préfaces de la revue Vremia, cet indigeste Voyage à l’étranger, où se lisent quelques passages intéressant particulièrement la France, et le très remarquable Essai sur la bourgeoisie, — pourquoi n’y a-t-il pas joint le pathétique plaidoyer : Ma défense, écrit lors de l’affaire Petrachevsky, paru en Russie il y a huit ans, et dont la traduction française (Fréd. Rosenberg) a été donnée par la Revue de Paris ? Peut-être, enfin, quelques notes explicatives, de-ci de-là, eussent-elles aidé la lecture, et peut-être quelques divisions expliquant d’époque en époque, parfois, les longs intervalles de silence.