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son menton tremblait et qu’il se frappait la poitrine du poing ?

Oui, c’était parfaitement sincère, se répéta-t-il à lui-même, approfondissant l’analyse sans ordre. Il était parfaitement assez bête et assez généreux pour s’éprendre de l’amant de sa femme, à la conduite de laquelle il n’a rien trouvé à redire pendant vingt ans ! Il m’a estimé pendant neuf ans, a honoré mon souvenir, et a gardé mes « expressions » dans sa mémoire. Il n’est pas possible qu’il ait menti hier ! Est-ce qu’il ne m’aimait pas hier, lorsqu’il me disait : « Réglons nos comptes » ? Parfaitement, il m’aimait tout en me haïssant ; cet amour est de tous le plus fort[1].

et enfin :

Seulement il ne savait pas alors si tout cela finirait par un baiser ou par un coup de couteau. Eh bien ! la solution est venue, la meilleure, la vraie solution : le baiser et le coup de coup de couteau, les deux à la fois. C’est la solution la plus logique[2] !…

Si je me suis attardé si longuement à ce petit livre, c’est qu’il est de prise plus facile que les autres romans de Dostoïevsky, c’est qu’il nous permet d’aborder par delà la haine et l’amour à cette région profonde dont je vous parlais tout à l’heure, qui n’est pas la région de l’amour et que la passion n’atteint pas, région où il est à la fois si facile et si simple d’atteindre,

  1. L’Éternel Mari, p. 172.
  2. Ibid., p. 174.