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temps il décidait le malade à se coucher, le déshabillait, l’enveloppait d’une couverture ; et au bout de vingt minutes, le thé était prêt, et la première compresse était chauffée.

— Voilà qui fait l’affaire… des assiettes bien chaudes, brûlantes ! dit-il avec un empressement passionné, en appliquant sur la poitrine de Veltchaninov une assiette enveloppée dans une serviette. Nous n’avons pas d’autres compresses, et il serait trop long de s’en procurer… Et puis des assiettes, je veux vous le garantir, c’est encore ce qu’il y a de meilleur ; j’en ai fait l’expérience moi-même, en personne sur Petr Kouzmitch… C’est que vous savez, on peut en mourir !… Tenez, buvez ce thé vivement ; tant pis, si vous vous brûlez ! Il s’agit de vous sauver ; il ne s’agit pas de faire des façons.

Il bousculait Mavra, qui dormait encore à demi ; on changeait les assiettes toutes les trois ou quatre minutes. Après la troisième assiette et la seconde tasse de thé bouillant avalée d’un trait, Veltchaninov se sentit tout d’un coup soulagé.

— Quand on parvient à se rendre maître du mal, alors, grâce à Dieu, c’est bon signe ! s’écria Pavel Pavlovitch.

Et il courut tout joyeux chercher une autre assiette et une autre tasse de thé.

— Le tout c’est d’empoigner le mal ! Le tout c’est que nous arrivions à le faire céder ! répétait-il à chaque instant.

Au bout d’une demi-heure, la douleur était tout à fait calmée ; mais le malade était si fatigué que, malgré les supplications de Pavel Pavlovitch, il refusa obstinément de se laisser appliquer « encore une petite assiette ». Ses yeux se fermaient de faiblesse.

— Dormir ! dormir ! murmura-t-il d’une voix éteinte.