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niers temps, il restait faible comme un enfant. Mais le mal reprit le dessus et vainquit la fatigue et le sommeil : au bout d’une heure, Veltchaninov se réveilla et se dressa sur le divan avec des gémissements de douleur. L’orage avait cessé ; la chambre était pleine de fumée de tabac, la bouteille était vide sur la table et Pavel Pavlovitch dormait sur l’autre divan. Il s’était couché tout de son long ; il avait gardé ses vêtements et ses bottes. Son lorgnon avait glissé de sa poche et pendait au bout du fil de soie presque au ras du plancher[1].

C’est une chose remarquable, ce besoin de Dostoïevsky, lorsqu’il nous entraîne dans les régions les plus étranges de la psychologie, de préciser alors jusqu’au plus petit détail réaliste, afin d’établir le mieux possible la solidité de ce qui nous paraîtrait, sinon, fantastique et imaginaire.

Veltchaninov souffre horriblement, et voici tout aussitôt Trousotzky aux petits soins :

Mais Pavel, Pavlovitch était, Dieu sait pourquoi ! tout à fait hors de lui, aussi bouleversé que s’il se fût agi de sauver son propre fils. Il ne voulait rien entendre et insista avec feu : il fallait absolument mettre des compresses chaudes, et puis, par là-dessus, avaler vivement deux ou trois tasses de thé faible, aussi chaud que possible, presque bouillant. Il courut chercher Mavra sans attendre que Veltchaninov le lui permit ; la ramena à la cuisine, fit du feu, alluma le samovar : en même

  1. L’Éternel Mari, pp. 160 et 161.