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l’ami intime de Goloubenko ; bien mieux, il demanda à être garçon d’honneur ; le jour du mariage, il tint son rôle ; puis quand ils eurent reçu la bénédiction nuptiale, il s’approche du marié pour le féliciter et l’embrasser, et alors, devant toute la noble société, devant le gouverneur, voilà mon Livtsov qui lui donne un grand coup de couteau dans le ventre et voilà mon Goloubenko qui tombe !… Son propre garçon d’honneur ! C’est bien ennuyeux ! Et puis ce n’est pas tout ! Ce qu’il y a de bon, c’est qu’après le coup de couteau, le voilà qui se jette à droite et à gauche : « Hélas ! qu’ai-je fait là ! Hélas ! qu’ai-je fait ! » et qui sanglote et qui s’agite, et qui se jette au cou de tout le monde, des dames aussi. « Hélas ! qu’ai-je fait là ! » Ha ! ha ! ha ! c’était à crever de rire. Il n’y avait que ce pauvre Goloubenko qui faisait pitié, mais enfin il s’en est tiré.

— Je ne vois pas du tout pourquoi vous me racontez cette histoire, fit Veltchaninov, sèchement, les sourcils froncés.

— Mais uniquement à cause du coup de couteau, dit Pavel Pavlovitch toujours riant[1],

et c’est ainsi que le sentiment réel, spontané de Pavel Pavlovitch se fait jour, lorsqu’il est amené soudain à soigner Veltchaninov, pris inopinément d’une crise de foie. Permettez-moi de vous lire tout au long cette scène extraordinaire :

À peine le malade se fut-il étendu qu’il s’endormit. Après la surexcitation factice qui l’avait tenu debout toute cette journée et dans ces der-

  1. L’Éternel Mari, pp. 92 et 93.