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jalousie même qu’il entretient en lui, qu’il protège ; c’est la souffrance de la jalousie qu’il recherche, et qu’il aime, — tout comme nous avons vu le héros de l’Esprit souterrain aimer son mal de dents.

De cette souffrance abominable du mari jaloux, nous ne saurons à peu près rien. Dostoïevsky ne nous la fera connaître, entrevoir, qu’indirectement, par les horribles souffrances que lui-même, Trousotzky, fera endurer aux êtres qui sont près de lui, — à commencer par cette petite fille, que pourtant il aime passionnément. Les souffrances de cette enfant nous permettent de mesurer l’intensité de sa propre souffrance. Pavel Pavlovitch torture cette enfant, mais il l’adore, il n’est pas plus capable de la détester qu’il n’est capable de détester l’amant :

« Savez-vous ce que Lisa a été pour moi, Veltchaninov ? » Il se rappela ce cri de Trousotzky et il sentit que ce n’avait pas été une grimace, que son déchirement était sincère, que c’était de la tendresse. Comment ce monstre a-t-il pu être si cruel pour l’enfant qu’il adorait ? Était-ce croyable ? Mais toujours il écartait cette question et il la fuyait ; elle contenait un élément d’incertitude terrible, quelque chose d’intolérable, d’insoluble[1].

Persuadons-nous que ce dont il souffre le plus, c’est précisément de ne pas parvenir à

  1. L’Éternel mari, pp. 104, 105.