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toï ? — « La non-résistance au mal. » — Ibsen ? — « Les brumes du Nord. » — Darwin ? — « L’homme descend du singe. La lutte pour la vie. » — D’Annunzio ? — « Le culte de la beauté. » Malheur aux auteurs dont on ne peut réduire la pensée en une formule ! Le gros public ne peut les adopter (et c’est ce que comprit si bien Barrès lorsqu’il inventa pour couvrir sa marchandise cette étiquette : la Terre et les Morts).

Oui, nous avons une grande tendance en France, à nous payer de mots, et à croire que tout est dit, que tout est obtenu, qu’il n’y a plus qu’à passer outre, dès qu’on a trouvé la formule. C’est ainsi que nous avons pu croire que nous tenions déjà la victoire grâce au « je les grignote » de Joffre, ou au « rouleau compresseur de la Russie.

« La religion de la souffrance ». Évitons du moins le malentendu. Il ne s’agit pas ici, ou du moins pas seulement de la souffrance d’autrui, de la souffrance universelle devant laquelle Raskolnikoff se prosterne lorsqu’il se jette aux pieds de Sonia, la prostituée, ou le père Zossima aux pieds de Dmitri Karamazov, le futur meurtrier — mais bien aussi de sa propre souffrance.

Veltchaninov, durant le cours de tout le livre, se demandera : Pavel Pavlovitch Trousotzky est-il jaloux ou ne l’est-il pas ? Sait-il ou ne sait-il pas ? Question absurde. — Oui, certes, il sait ! Oui, certes, il est jaloux ; mais c’est là