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savoir : précisément pour torturer l’amant par cette indécision qu’il entretient savamment en lui.

Une des façons d’envisager ce livre étrange est celle-ci : l’Éternel Mari nous présente la lutte du sentiment véritable et sincère contre le sentiment conventionnel, contre la psychologie admise et d’usage courant.

« Il n’y a qu’une solution : un duel », s’écrie Veltchaninov ; mais on se rend compte que c’est là une solution misérable qui ne satisfait aucun sentiment réel, qui simplement répond à une conception factice de l’honneur ; celle même dont je parlais précédemment : une notion occidentale. Elle n’a que faire ici. Nous comprenons bientôt, en effet, que Pavel Pavlovitch, au fond, aime sa jalousie même. Oui, vraiment, il aime et recherche sa souffrance. Cette recherche de la souffrance jouait un rôle très important déjà dans l’Esprit souterrain.

On a beaucoup parlé en France, à propos des Russes, à la suite du vicomte Melchior de Vogüé, d’une « religion de la souffrance ». En France, nous faisons grand cas et grand usage des formules. C’est une manière de « naturaliser un auteur ; cela nous permet de le ranger dans la vitrine. L’esprit français a besoin de savoir à quoi s’en tenir ; après quoi, l’on n’a plus besoin d’y aller voir, ni d’y penser. — Nietzsche ? — Ah ! oui : « Le surhomme. Soyons durs. Vivre dangereusement. » — Tols-