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rival (et c’est là le point important). S’il y a haine comme dans l’Éternel Mari, ainsi que nous le verrons tout à l’heure, cette haine est contre-balancée et tenue en respect pour ainsi dire par un mystérieux et étrange amour pour le rival. Mais le plus souvent, il n’y a pas de haine du tout, il n’y a même pas de souffrance ; nous voici sur une route en pente où nous risquons de retrouver Jean-Jacques, soit lorsqu’il s’accommode des faveurs que Mme de Warens accorde à son rival Claude Anet, soit lorsque, songeant à Mme d’Houdetot, il écrit dans ses Confessions :

Enfin de quelque violente passion que j’aie brûlé pour elle, je trouvais aussi doux d’être le confident que l’objet de ses amours et je n’ai jamais regardé son amant comme mon rival, mais toujours comme mon ami. (Il s’agit ici de Saint-Lambert.) On dira que ce n’était pas encore là de l’amour. Soit, mais c’était donc plus.

Loin de devenir jaloux, Stavroguine s’éprit d’amitié pour son rival, est-il dit dans les Possédés.

Un détour que je vous propose nous permettra de pénétrer plus avant dans la question, c’est-à-dire de comprendre mieux l’opinion de Dostoïevsky. Relisant récemment à peu près toute son œuvre, il m’a paru particulièrement intéressant de considérer comment Dostoïevsky passe d’un livre à l’autre. Certes, il était naturel qu’après les Souvenirs de la maison des morts,