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Nous y lisons :

Versilov me disait un jour que ce n’était point par jalousie qu’Othello avait tué Desdemona et s’était ensuite tué, mais bien parce qu’on lui avait enlevé son idéal[1].

Est-ce là vraiment un paradoxe ? J’ai découvert récemment dans Coleridge une affirmation toute semblable, — semblable au point que l’on doute si, peut-être, Dostoïevsky ne l’aurait pas connue.

La jalousie, dit Coleridge, en parlant d’Othello précisément, ne me paraît pas être ce qui le point… Il faut voir là plutôt l’angoisse et l’agonie de retrouver impure et méprisable la créature qui lui paraissait angélique, dont il avait fait l’idole de son cœur et qu’il ne pouvait pas cesser d’aimer. Oui, la lutte et l’effort pour ne plus l’aimer ; c’est une indignation morale, le désespoir devant cette faillite de la vertu, qui le fait s’écrier : But yet the pity of it Iago, 0 Iago, the pity of it, Iago (qui ne peut être traduit que bien approximativement en français par : « Mais que cela est dommage, Iago, ô Iago, que cela est dommage ! »).

Incapables de jalousie, les héros de Dostoïevsky ? — je vais peut-être un peu loin, — du moins il sied d’apporter à cela quelques retouches. On peut dire qu’ils ne connaissent de la jalousie que la souffrance, une souffrance qui n’est pas accompagnée de haine pour le

  1. L’Adolescent, p. 285.