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Selon toute apparence, cette passion si peu exigeante contribuait à inquiéter secrètement la générale Épantchine ; elle avait deviné dans le prince un amoureux platonique : il y avait bien des choses que la générale appréhendait in petto sans pouvoir formuler ses craintes[1].

Et constatons encore ceci qui me paraît très important : l’amour le moins charnel est ici, comme souvent d’ailleurs, le plus fort.

Je ne voudrais pas incliner la pensée de Dostoïevsky. Je ne prétends pas que ces doubles amours et cette absence de jalousie nous acheminent vers l’idée de complaisants partages, — non point toujours du moins, ni nécessairement ; — vers le renoncement plutôt. Encore une fois, Dostoïevsky ne se montre pas très franc sur ce point… La question de la jalousie a de tout temps préoccupé Dostoïevsky.

Dans un de ses premiers livres (la Femme d’un autre), nous lisons déjà ce paradoxe : qu’il ne faut pas voir en Othello un véritable type de jaloux ; et peut-être sied-il de voir dans cette affirmation, avant tout, un besoin de s’élever contre l’opinion courante.

Mais, plus tard, Dostoïevsky revient sur ce point. Il reparle d’Othello dans l’Adolescent, livre de la fin de sa carrière.

  1. L’Idiot, II, p. 266.