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haut, admirons avec quelle logique Dostoïevsky en poursuit les conséquences. Et constatons d’abord que presque tous les personnages de Dostoïevsky sont polygames ; c’est-à-dire, et sans doute comme une satisfaction accordée à la complexité de leur nature, que presque tous sont capables simultanément de plusieurs amours. Une autre conséquence et, si je puis dire, un autre corollaire découlant de ce postulat, c’est la presque impossibilité de fournir de la jalousie. Ils ne savent pas, ils ne peuvent pas devenir jaloux.

Mais insistons d’abord sur les cas de polygamie qu’ils nous offrent. C’est le prince Muichkine, entre Aglaé Épantchine et Nastasia Philipovna :

— Je l’aime de toute mon âme, dit-il, en parlant de cette dernière.

— Et en même temps, vous assuriez de votre amour Aglaé Ivanovna ?

— Ah ! oui. Ah ! oui.

— Voyons, prince, pensez un peu à ce que vous dites. Rentrez en vous-même… Selon toute apparence, vous n’avez jamais aimé ni l’une ni l’autre… Comment aimer deux femmes et de deux amours différents… C’est curieux[1].

Et tout aussi bien, chacune des deux héroïnes se trouve elle-même partagée entre deux amours.

  1. L’Idiot, II, pp. 355 et 356.