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souvent conventionnels, gauches, inintéressants.

Dans l’œuvre de Dostoïevsky, au contraire, les enfants abondent ; même il est à remarquer que la plupart de ses personnages, et des plus importants, sont des êtres encore jeunes, à peine formés. Il semble que ce qui l’intéresse surtout, ce soit la genèse des sentiments. Il nous peint ceux-ci bien souvent douteux encore, et pour ainsi dire à l’état larvaire.

Il s’attache particulièrement aux cas déconcertants, à ceux qui se dressent comme des défis, en face de la morale et la psychologie admises. Évidemment dans cette morale courante et dans cette psychologie, il ne se sent pas lui-même à l’aise. Son propre tempérament entre en opposition douloureuse avec certaines règles que l’on considère comme établies et dont il ne peut se contenter, se satisfaire.

Nous trouvons cette même gêne, cette même insatisfaction dans Rousseau. Nous savons que Dostoïevsky était épileptique, que Rousseau devint fou. J’insisterai plus tard sur le rôle de la maladie dans la formation de leur pensée. Contentons-nous, pour aujourd’hui, de reconnaître, dans cet état physiologique anormal, une sorte d’invitation à se révolter contre la psychologie et la morale du troupeau.

Il y a dans l’homme de l’inexpliqué, si tant est qu’il n’y ait pas de l’inexplicable ; mais une fois admise cette dualité dont je parlais plus